Rendez-vous de l’IF

XIIème Rendez-vous de l’Internationale des Forums du Champ Lacanien « L’angoisse, comment la faire parler ? », les 3 & 4 mai 2024

Argument

Aujourd’hui l’angoisse, sous des noms divers, est partout. C’est un affect éprouvé par tous les parlants et de toujours. Lacan la rangeait dans la catégorie du sentir qui engage des manifestations corporelles majeures. Pourquoi s’évertuer à la faire parler plutôt que de la faire taire, comme on s’y emploie avec l’usage massif des anxiolytiques et autres tranquillisants ?

C’est qu’on suppose qu’elle a quelque chose à dire mais encore faut-il trouver le moyen de la faire parler. Car pour le sujet angoissé, cet affect est une certitude mais de l’ordre d’une indétermination, d’un indicible sur ce qui la génère. La faire parler, certes, mais encore faut-il qu’on puisse la croire. Sur ce point, la clinique analytique nous a appris que l’angoisse est le seul affect qui ne trompe pas, alors que tout senti ment sur sa cause. Néanmoins comment l’angoisse peut-elle ne pas tromper alors que pour l’angoissé, qui l’éprouve, sa cause reste énigmatique ? C’est qu’à la différence des autres sentiments, qui dérivent métonymiquement avec les signifiants, elle reste arrimée à ce qui la produit, soit un réel. Sa certitude clinique nous indique qu’elle se réfère, non pas au signifiant trompeur, mais bien à un réel. D’où l’importance de la faire parler afin de cerner le réel en jeu pour le sujet qui en est affecté. Lacan en a même fait tardivement « le symptôme-type de tout avènement du réel[1] ». À nous d’en préciser les différentes occurrences. Quelques orientations cependant.

Avec cette formule il englobait ce qu’il avait pu en dire jusque-là, y compris une partie des thèses de Freud. Conçue à l’origine comme un effet du refoulement, résultat de la privation pulsionnelle que le refoulement implique, en 1926 avec Inhibition, symptôme et angoisse et ses Addenda, Freud inverse sa thèse. L’angoisse devient la cause du refoulement, son moteur. À l’effet de castration accompagné de l’angoisse du manque, lié aux déceptions premières de l’enfant face à l’Autre parental qui fait défaut à répondre à ses demandes, Freud élargit l’angoisse à l’effet de la rencontre traumatique de toute névrose. Affect d’une situation de détresse – Hilflosigkeit – qui laisse l’enfant sans recours dans sa rencontre réelle avec l’excitation pulsionnelle et son exigence de satisfaction, cause du refoulement et de la survenue des symptômes. L’angoisse de ce premier trauma devient ensuite signal d’alarme, avertisseur d’un danger.

Cependant pour Lacan, l’angoisse révèle plus que ce qu’en disait Freud sur la castration, car au-delà du manque, elle touche à la question de l’être du sujet. Insistant sur les conjonctures de l’angoisse, il en fait l’affect de l’énigme portant sur la cause du désir qu’il soit de l’Autre ou du sujet. Son apparition résultant chaque fois que le sujet se sent menacé de n’être rien d’autre qu’un obscur objet pour l’Autre. Ce vide de signification se retrouve aussi quand l’énigme porte sur son propre désir dont il n’a pas la maîtrise, puisque le sujet désire en tant qu’Autre. Ici l’angoisse se fait l’index de l’objet a, dans les rapports que le sujet entretient avec l’Autre par les voies de l’amour et du désir. Ce qui fait dire à Lacan que l’angoisse n’est pas sans objet. Et là où Freud lie l’angoisse à la menace de castration et à son manque corrélatif, Lacan renverse la thèse en élaborant une nouvelle structure de l’angoisse qui surgit quand le manque vient à manquer. Effet d’étrangeté, d’Unheimlich « qui apparaît à la place où devrait être le moins-phi[2] » de la castration.

Avant de diagnostiquer « la montée au zénith social de l’objet […] petit a[3] » comme plus de jouir, avec le développement du discours capitaliste, Lacan conçoit « un changement dans l’amarrage même de l’angoisse[4] », qui du sujet fait pur clivage. Béance subjective d’un sujet réduit à l’objet en tant qu’il manque, subjectivement destitué, où son manque à jouir est comblé par les plus-de-jouir mis à sa disposition. Avec pour conséquence la montée de la clameur sociale qui exprime la détresse, la déréliction du parlêtre. À ce réel de l’objet a, qui manque à s’inscrire dans l’Autre, réel du symbolique, Lacan va élargir les conjonctures de l’angoisse au-delà de l’objet, au réel hors symbolique, ce que dit sa définition de l’angoisse comme « le symptôme-type de tout avènement du réel ».

Un demi-siècle plus tard, interrogeons-nous sur l’évolution des formes d’ancrage de l’angoisse en fonction des discours et du réel hors symbolique. L’éco-anxiété et la baisse de la natalité dans toutes les sociétés industrialisées n’en seraient-elles pas les marqueurs ? Cela nous indique que l’angoisse est sensible aux discours et la clinique nous enseigne que la psychanalyse en allège le sujet. Mais comment le discours analytique procède-t-il ? Certainement pas comme le promeuvent les psychothérapies par une gestion des émotions, autre nom des affects. L’angoisse est indomptable, on ne peut lui commander de se coucher.

À nous de spécifier ce qui de l’inconscient, du langage et des discours détermine l’angoisse, si on veut pouvoir la traiter dans la cure et ensuite de dire comment le discours analytique opère.

Patrick BARILLOT
Mai 2023

Sous-thèmes du Rendez-vous de l’IF

Comment la faire parler ?

  • Selon ses amarrages contemporains
  • Chez l’enfant et l’adolescent
  • Selon les sexes

Le traitement de l’angoisse selon les types cliniques

La psychanalyse et les temps de l’angoisse

L’angoisse féconde


[1] J. Lacan, La troisième, novembre 1974.
[2] J. Lacan, Le Séminaire, Livre X, L’Angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 53.
[3] J. Lacan, « Radiophonie », dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 414.
[4] Lacan, « L’acte psychanalytique, Compte rendu du séminaire 1967-1968 » (1969) dans Autres écrits, op. cit., p. 381.

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